Notre visite du camp d’Auschwitz, en Pologne.


Après un premier vol en avion pour beaucoup d’entre nous, nous sommes arrivés à Cracovie, sans trop y croire. Ça y est, ce que nous avions préparé depuis des mois était enfin devant nous : la visite du camp d’extermination et de concentration d’Auschwitz. Un trajet en bus, à travers les paysages enneigés de Pologne et nous voilà devant le camp de Birkenau. Ce porche d’entrée, sinistre, et tellement connu, est enfin devant nous, à nos pieds, bien réel. On sort nos appareils photos, sans trop réaliser que nous y sommes. Personnellement, j’avais du mal à le concevoir.

Nous avons commencé la journée par la visite du grand mirador d’entrée. A l’intérieur, après une prise de parole de notre guide polonais, et de l’ancien déporté français, Mr Zylbermine qui était avec nous, nous avons pu contempler à notre guise la vue sur le camp. Ce qui m’a frappée était bien sûr son immensité. Un camp immense, construit de manière si géométrique, si parfaite, une véritable « folie géométrique » comme le disait Primo Levi, dans l’esprit si régulier et industriel des Nazis. Malgré la réalité de l’endroit, je dois dire que j’avais un peu de mal à imaginer ces lieux emplis de prisonniers, de nazis en uniforme. Je me souviens n’avoir pas ressenti ce que je pensais ressentir. Birkenau ne m’a pas laissé le souvenir que j’attendais. Je m’attendais à une atmosphère bien plus lourde, empreinte d’une certaine horreur. Quelque chose qui allait me prendre à la gorge. Je ressentirai ce sentiment bien plus tard dans la journée.
Nous avons continué par la visite des latrines, et d’une baraque où dormaient jadis les ‘‘Häftlinge’’. Dans cette dernière, étaient disposées les couchettes où dormaient les prisonniers du camp. Notre guide, et Mr Zylbermine, nous ont longuement décrit dans quelles conditions vivaient les habitants du camp. Ce qui m’a marqué a été le nombre de personnes qui pouvaient dormir dans ces couchettes. Une dizaine par ‘‘étage’’ me semble-t-il. Ceci ‘‘grâce’’ à leur extrême maigreur. Il me semblait impossible de dormir par dizaines dans ces box. Dans cette baraque il y avait aussi un four, qui était sensé réchauffer les habitants de la baraque en hiver. Ce n’était qu’une tromperie de la part des nazis : il n’a jamais fonctionné.

La visite continuait à l’extérieur. Dans la neige nous imaginions les prisonniers qui devaient effectuer le même trajet que nous, et je me sentais coupable de me plaindre du froid, en les imaginant eux, qui n’avaient que des ‘‘pyjamas’’ et des chaussures inadaptées. Cela me semblait tout simplement impossible de survivre dans de telles conditions, bien que je pense ne jamais pouvoir imaginer à quel point les conditions de vie étaient difficiles.
Nous avons longé la rampe de débarquement, nous nous sommes arrêtés en chemin, pour écouter le guide nous expliquer la sélection. Puis nous sommes arrivés devant un monument de mémoire, sur lequel était écrit en différentes langues, qu’il ne fallait pas oublier l’histoire des camps. Nous nous sommes ensuite dirigés vers les restes de chambres à gaz et crématoires. Là encore, je croyais que cela allait être plus fort. Ça ne l’a pas été.
Plus loin, nous avons vu des endroits où étaient effectuées des exécutions avant que les chambres à gaz aient été construites. Et toujours des ruines, des restes de bâtiments où sont morts des milliers de personnes. Et ça, je n’en étais pas très consciente sur place. C’est difficile de s’imaginer ce genre de choses en voyant juste des ruines enneigées.
La fin de la visite de Birkenau approche. On visite le ‘‘Sauna’’ où les prisonniers étaient lavés, rasés, tatoués. Encore une fois, une certaine difficulté à prendre conscience de la chose. Bien que là-bas fussent exposées des photos de famille, que les prisonniers ont dû laisser derrière eux. Voir des visages, bien qu’inconnus, m’a fait davantage prendre conscience que de voir des lieux, modifiés par le temps et les hommes.
En dernier lieu, nous avons assisté à un discours suivi de quelques minutes de recueillement devant le monument de mémoire. Dans la voix de Mr Zylbermine, nous pouvions clairement discerner une grande émotion. Bien que Birkenau ne m’a pas laissé les impressions auxquelles je m’attendais, ce dernier moment de recueillement fut très chargé en émotion, très poignant.

Pour conclure sur cette visite de Birkenau, je dirai que j’étais un peu déçue dans le sens où, je n’ai pas ressenti ce que j’appréhendais, ce pourquoi je m’étais préparée. Une déception un peu honteuse. Je me sentais comme insensible dans ces lieux, alors que je pensais devoir être plus touchée. Je trouvais que mon absence de sentiments était indécente.
Avec le recul, je ne pense pas avoir été vide de sentiments, non, mais j’avais une certaine difficulté à concevoir les choses. Prendre conscience que nous étions à Auschwitz, tenter d’imaginer les lieux tels qu’ils étaient à l’époque de la guerre, imaginer tant de choses aujourd’hui disparues, c’était difficile. Je pense que c’est la raison pour laquelle je me sentais vide de sentiments, et un peu honteuse de l’être.

L’après midi nous avons visité Auschwitz I. C’était complètement différent de Birkenau.
Après être allés jusqu'à la grille au dessus de laquelle apparaît cette cynique inscription des Nazis « Arbeit macht frei », nous sommes allés dans le sens contraire, visiter la seule chambre à gaz et le seul crématoire encore debout. La première chambre à gaz. Il me semble que le bâtiment a été partiellement reconstruit, mais une fois qu’on a passé la porte du bâtiment, mon cœur s’est serré, et je n’ai plus dit un mot. Arrivée dans la chambre même, dans laquelle le guide nous a fait promettre de respecter les lieux, j’ai eu le cœur encore plus serré. A travers ses explications, je ne pouvais m’empêcher de ressentir un profond malaise, et surtout une grande tristesse. Voir les trous dans le plafond, par lesquels les Nazis laissaient passer les cristaux de zyklon B, voir des griffures sur le mur ( Dont l’authenticité n’est pas vérifiée, mais que même si elles étaient fausses, ont été présentes à l’époque). Tout cela m’a profondément marquée. Aujourd’hui encore, quand j’écris ces lignes, alors que le voyage s’est passé il y a plus d’une semaine, j’en ai encore les larmes aux yeux.
Quand nous sommes passés dans la pièce d’à côté, où étaient deux fours crématoires, là encore je n’ai pas pu me retenir. Imaginer des personnes assassinées était là-bas tout à fait possible. Le lieu est encore empreint d’une atmosphère particulière, qui m’a totalement bouleversée.
Autant le matin, à Birkenau, j’étais en quelque sorte vide de sentiments, autant l’après-midi j’ai eu un trop plein de sentiments. Je me mordais les lèvres, je ne voulais pas fondre en larmes, je pleurais en silence, cachée derrière quelqu’un. Je suis restée la dernière dans les lieux. Et une fois dehors, j’ai pleuré sans retenue dans les bras de quelqu’un. Je ne cessais de répéter que c’était impossible de faire ça. Ici je ne doutais absolument pas que c’était possible de tuer massivement des hommes, et pourtant je souhaitais que ce fût impossible. Schéma contraire à celui de la visite de Birkenau.
J’étais dans un état de choc, je n’en revenais pas, je ne voulais pas le croire.

Tout au long de la visite de l’après-midi, j’étais hantée par l’image des griffures sur le mur de la chambre à gaz, par l’image des fours crématoires.

Nous avons visité différents blocks, l’un d’eux m’a plus marquée que les autres : celui où étaient exposées les affaires personnelles des gens exterminés. Des tonnes de cheveux, de lunettes, de chaussures, un nombre impressionnant de chaussures, c’était effrayant. Des valises … Le moment où les larmes me sont montées aux yeux était celui où j’ai vu des vêtements de bébé. Je ne voulais pas croire qu’on avait pu tuer des bébés. Comment peut-on tuer des bébés, ces êtres innocents ? Cela me semblait totalement inconcevable. C’est lors de moments pareils qu’avoir des origines allemandes me semblait honteux. ( Alors que normalement je revendique le fait que les Allemands de notre génération n’aient pas à se sentir coupables. C’est assez paradoxal … )
Nous avons aussi vu une maquette de chambre à gaz, des boites de zyklon B, vides, des cendres de juifs retrouvés dans les camps, des photos …
Nous avons visité le bâtiment des juifs français, et celui qui constituait la prison du camp ( Une prison à l’intérieur d’une prison … ). Dans ce dernier, au sous-sol, voir les cachots dans lesquels on laissait mourir des gens de manière atroce était également assez terrible. La visite de ce block constituait un point final à notre visite d’Auschwitz.

Nous sommes rentrés, il commençait à faire nuit, il faisait très froid, et marcher dans ces lieux dans de pareilles circonstances était presque effrayant. Il n’était pas du tout difficile de nous imaginer ces lieux hantés ... L’ambiance de cette soirée était particulière.

Pour finir je dirai que ce à quoi je m’attendais je l’ai éprouvé l’après-midi et non le matin. La visite de Birkenau nous a permis de voir l’aspect industriel et gigantesque du camp, de cette entreprise d’extermination, de déshumanisation. L’après-midi nous avons pris conscience des gens qui ont été assassinés en ces lieux. Cette seconde visite m’a nettement plus marquée que la première. Nous y avons vu les gens d’une certaine manière. L’ambiance y était différente. Il était plus facile de concevoir des gens à Auschwitz I qu’à Birkenau.
Par ailleurs, le fait que nous y sommes allés en Hiver, alors qu’il y avait de la neige, nous a davantage rapprochés de ce qu’a pu être Auschwitz en 1944. En été, nous y aurions vu de l’herbe, ce qu’il n’y avait pas à l’époque. Cela aurait été moins ‘‘réel’’.

Ce voyage aura été très intense, difficile à vivre lors de certains moments, mais important. Ce n’est pas une visite anodine que celle d’un camp d’extermination et de concentration.
Toute cette étude ayant pour thème la seconde guerre mondiale, et en particulier la tragédie de la Shoah est quelque chose d’exceptionnel. Il n’est pas toujours donné de faire une étude aussi approfondie, de rencontrer des anciens déportés, de visiter un authentique lieu où se sont passées les pires horreurs du 20e siècle. En tant qu’allemande d’origine, cette étude me tient encore plus à cœur. Peut-être afin de me libérer de l’histoire, de la mémoire, de la culpabilité de tout un peuple ? Je ne sais pas. Je pense qu’être Allemande, et s’intéresser à cette sombre partie de l’histoire des Allemands me différencie de mes amis, Français, qui travaillent aussi pour ce projet. Je n’arriverai pas à expliquer exactement pourquoi je me sens différente d’eux. Mais je vis pleinement cette différence. Et rarement j’ai voulu être autant impliquée dans un projet.
Ce dernier m’aura fortement marquée, et jamais je n’oublierai.


Yasmine Genetzkow