« Je suis devenu philosophe pour défendre 
        ma poésie » n’a cessé de répéter 
        Fondane. Lors de sa rencontre avec Léon Chestov, 
        philosophe russe existentiel, Fondane, fraîchement arrivé 
        de Bucarest, n’est pas encore philosophe. Il se sent une affinité 
        avec la pensée de Nietzsche qu’il connaît 
        à travers l’œuvre de Jules de Gaultier. 
        La rencontre avec Chestov lui révèle combien les questions 
        esthétiques qui le préoccupent occultent une dimension philosophique. Dès lors, Fondane tente de faire connaître la pensée 
        de son maître tout en élaborant sa propre philosophie.
        Au centre de la pensée de Chestov se situent la relation de l’homme 
        à Dieu, la lutte contre les évidences de la raison, le problème 
        de la liberté et du mal.
        De 1934 à 1938, Fondane note l’essentiel de leurs entretiens 
        qui seront publiés de façon posthume sous le titre de 
        Rencontres avec Léon Chestov (1982).
        Qu’a retenu Fondane de cet apprentissage ardu, placé sous 
      le signe d’une amitié exigeante?
 Une critique radicale de la raison et de l’héritage grec qu’il 
      confronte à la Bible, devenue pour lui un texte philosophique existentiel 
      ; et la conscience aiguë que la philosophie a confondu les lois du 
      savoir avec celles de l’être, en ignorant le réel et 
      l’existant. Les concepts philosophiques ont menti, mais voilà 
      que les mots, le matériau même de la poésie, n’ont 
      pas moins failli. « Mots sauvages », la préface de 1930 
      à son recueil de poésie roumaine Paysages, révèle 
      l’ampleur de ce désastre.
      Dès lors, il s’élève contre la philosophie des 
      philosophes et conteste ses méthodes. À la veille de la guerre, 
      sa critique de l’idéalisme et de la raison devient une révolte 
      contre l’anéantissement qui s’annonce, car le néant 
      n’est que le produit d’une « raison devenue folle » 
      comme l’affirmera son article de 1939 « L’homme devant 
      l’Histoire ou le Bruit et la Fureur ». En somme, la philosophie 
      ne doit pas rassurer l’homme, mais l’ébranler dans ses 
      convictions. 
De 1932 à 1944, Fondane tient aux Cahiers du Sud une chronique 
      régulière intitulée « La Philosophie vivante 
      » où d’importants articles philosophiques sont publiés. 
      Certains sont repris dans La Conscience malheureuse (1936) : une 
      série d’essais consacrés à Nietzsche, 
      Gide, Husserl, Bergson, Freud, Kierkegaard, Heidegger et Chestov. 
      Dans sa préface, Fondane invente le terme d’ « irrésignation 
      » pour désigner sa révolte contre la philosophie traditionnelle 
      qui enjoint l’homme à se résigner devant les évidences. 
      Pour lui, la philosophie est « l’acte même du vivant » 
      plutôt qu’une réflexion ou une spéculation. L’irrésignation 
      est un refus d’accepter ce qui apparaît comme impossible.  
      Le Lundi existentiel et le Dimanche de l’Histoire (1945, posthume) 
      peut être considéré comme un texte fondamental où 
      Fondane situe sa propre pensée existentielle vis-à-vis de 
      la nouvelle pensée « existentialiste » (Camus, 
      Sartre, Heidegger), tout en se réclamant de Chestov, 
      de Kierkegaard et de Kafka.
      
      La mort prématurée de Fondane prive le débat entre 
      la pensée existentielle, telle qu’il la conçoit, et 
      l’existentialisme sartrien de l’après-guerre, d’un 
      opposant de taille.
      Si c’est dans son œuvre poétique que l’empreinte 
      du judaïsme est la plus visible, ses textes philosophiques en témoignent 
      également : ni pratique, ni observance, c’est une exigence 
      spirituelle, une force d’insoumission.