Ce lundi 7 avril 2025, une cérémonie de commémoration s’est tenue au Jardin de la Mémoire, dans le parc de Choisy (Paris 13e), à l’occasion de la 31e commémoration du génocide perpétré contre les Tutsi.
Retrouvez à cette occasion, l’intégralité de l’allocution de Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah:
« Nous sommes réunis aujourd’hui pour commémorer un crime absolu : le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Il y a trente et un ans, en l’espace de cent jours, plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants ont été exterminés. Assassinés non pas pour ce qu’ils avaient fait, mais pour ce qu’ils étaient.
Un génocide est toujours le résultat d’une idéologie raciale qui construit un ennemi, justifie sa persécution et prépare son extermination. Avant les massacres, il y a donc la propagande.
Avant les balles et les machettes, il y a les mots qui tuent. Une propagande haineuse qui contribue à préparer la population.
Au Rwanda, comme lors de la Shoah et lors du génocide des Arméniens, la propagande a pavé la voie du crime en déshumanisant ses victimes. Les Tutsi furent appelés inyenzi– des cafards -, tout comme les Juifs d’Europe furent traités de vermine par le régime nazi. Il est toujours plus facile d’assassiner en masse une population mise de côté, exclue, déshumanisée, animalisée.
Cette propagande qui permit de galvaniser les foules nous rappelle qu’un génocide commence par des mots.
Ce langage n’est jamais anodin: il précède toujours le passage à l’acte.
Mais commémorer un génocide, ce n’est pas seulement honorer la mémoire des disparus. C’est aussi défendre la vérité.
Nous traversons une époque, un moment où le mot « génocide » est particulièrement souvent détourné de son sens, galvaudé, instrumentalisé à des fins politiques. Or, parler de génocide, c’est nommer avec précision un crime unique dans sa radicalité : l’anéantissement délibéré d’un groupe en raison de ce qu’il est. L’employer à tort, c’est risquer d’affaiblir notre capacité collective à reconnaître et à prévenir les véritables génocides.
L’idéologie raciale, l’intentionnalité et la planification font partie des caractéristiques communes des Génocides. Les travaux des historiens ont très clairement montré l’existence d’un plan d’élimination des Tutsi conçus par les extrémistes proches du pouvoir Hutu. Outre l’ampleur des massacres, c’est cette planification notamment qui permet de qualifier juridiquement les évènements de génocide.
Il y a aussi une autre menace : la négation. Tous les génocides ont en commun leur effacement programmé, que ce soit par les bourreaux eux-mêmes ou par leurs héritiers idéologiques.
Après la Shoah, il y eut le négationnisme. Après le génocide des Arméniens, il y eut un siècle de déni. Aujourd’hui encore, nous voyons resurgir des discours remettant en cause la réalité du génocide des Tutsi, notamment dans le contexte des tensions actuelles en République démocratique du Congo.
Certains cherchent à réécrire l’histoire, à minimiser les faits, à brouiller les responsabilités.
Nous savons où mène la négation. Elle ouvre la porte à de nouvelles violences. Elle permet aux criminels de demain de croire que leur crime aussi pourra être effacé.
Cette année marque également le 110° anniversaire du génocide des Arméniens. En 1915, en Anatolie, l’Empire Ottoman a mis en œuvre l’extermination systématique du peuple arménien. Son déni persistant a donné une leçon terrible aux génocidaires du XXe siècle: que l’on peut tuer un peuple et effacer son histoire. En 1939, Hitler lui-même déclarait à ses généraux: « Qui se souvient encore du massacre des Arméniens ? »
Notre responsabilité ne se limite pas aux mots. Il ne suffit pas de commémorer, il faut aussi agir.
En toute humilité le Mémorial de la Shoah a l’honneur de mettre son expertise au service de la mémoire. Le Mémorial de la Shoah est très fier d’avoir contribué au classement des archives de l’association Ibuka, qui rassemble les rescapés du génocide. Préserver ces documents, c’est empêcher l’oubli et fournir aux générations futures les preuves irréfutables de ce qui s’est passé.
L’année dernière, nous avons également organisé un séminaire à destination des guides des lieux de mémoire des sites du génocide au Rwanda. La transmission de l’histoire ne peut se faire sans celles et ceux qui, sur place, portent la mémoire et la rendent accessible aux visiteurs du monde entier.
Enfin, nous travaillons étroitement avec le ministère rwandais de la Mémoire sur l’aménagement des lieux de mémoire et sur le classement des archives du génocide. Car ces lieux ne sont pas de simples vestiges du passé : ils sont des avertissements pour l’avenir. Ils rappellent aux nouvelles générations que l’horreur n’est jamais loin lorsque la haine devient une politique d’État. Enfin la conservation des archives est urgente et indispensable tant pour écrire que pour transmettre cette histoire.
Transmettre est aussi l’une des missions fondamentales du Mémorial de la Shoah.
À ce titre, je tiens à remercier chaleureusement les élèves de Troisième du collège Jorissens de Drancy, qui sont là avec leurs enseignants Madame Isabelle Louvet et Sacha Betton.
Sous notre égide et en partenariat avec le département de la Seine-Saint-Denis, ont mené un projet pédagogique sur le génocide des Tutsi. Ce travail de mémoire, coordonné par Laurine Bahloul avec la metteuse en scène et comédienne Elishéva Décastel, est un exemple précieux de l’engagement des jeunes générations pour comprendre, se souvenir et lutter contre l’oubli.
Ce projet incarne ce que nous devons encourager : une mémoire vivante, une mémoire transmise, une mémoire qui éduque et qui prévient.
Dans quelques jours nous lirons les noms des Juifs déportés de France au Mémorial et nous commémorerons le 24 avril 1915 qui marque le commencement du Génocide des Arméniens de l’Empire Ottoman.
Je voudrais par notre action et ma présence, vous manifester notre solidarité, non seulement celle qui doit unir toutes les victimes des génocides mais également celle qui provient de toutes les femmes et les hommes attachés à la liberté, à la tolérance et a la démocratie.
Pour terminer je voudrais symboliquement m’incliner devant la mémoire des victimes du génocide des Tutsi, des femmes, des enfants, des hommes. J’ai également une pensée pour leurs familles et pour les survivants qui n’ont pas d’autres choix que d’essayer de vivre avec ces souvenirs, avec ces images d’horreur dont ils ont été les témoins et avec l’absence des êtres chers.
Je voudrais remercier Ibuka du travail indispensable qu’ils accomplissent pour faire vivre et transmettre cette histoire bet les remercier de leur confiance.
Comme tous les ans je voudrais vous redire au nom du Mémorial que vous pouvez compter sur nous.
A vos côtés, nous réaffirmons avec force notre engagement : transmettre et enseigner cette histoire, et plus généralement enseigner l’histoire des génocides afin de montrer les conséquences du racisme et de l’antisémitisme, lutter contre l’oubli, contre le déni, et contre toute tentative d’instrumentalisation de l’histoire.
Ne laissons jamais la vérité vaciller.
Je vous remercie. »