En 1979, pendant deux semaines, le photographe et réalisateur Raymond Depardon réalise une série de photographies en noir et blanc sur le site d’Auschwitz-Birkenau. Ces images, une commande du magazine Paris Match, ont été publiées juste après leur réalisation dans plusieurs magazines internationaux.
C’est un Auschwitz Birkenau sous la neige que découvre Raymond Depardon. La blancheur immaculée du paysage contraste avec la noirceur des bâtiments et clôtures du camp et de la végétation qui émerge çà et là. Une impression de solitude et d’immensité géométrique se dégage, ponctuée d’éléments rappelant l’humain : une robe de prisonnière, une herbe, un arbre. Pas âme qui vive. Recouvert de blanc poudré, le camp, et ce que nous en savons, est bien là, et Raymond Depardon en saisit les éléments les plus signifiants.
Vingt ans plus tard, il reviendra avec Claudine Nougaret et leurs deux fils pour une visite personnelle sur ces lieux, une démarche qu’ils jugent indispensable.
À l’occasion de la 80e commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah, Raymond Depardon a accepté que soit publiée la série photographique qui rend compte du site devenu un musée depuis 1947. Ces photographies n’avaient jamais fait l’objet ni d’une exposition ni d’une publication dédiée.
Coordination : Sophie Nagiscarde, Clara Lainé, assistées d’Andrea Pechin, Mémorial de la Shoah
Scénographie : Adrien Gardère, Carole Pfendler
Implanté par les autorités nazies à la périphérie de la petite ville d’Oświęcim, le complexe d’Auschwitz s’est déployé à partir du printemps 1940 dans une région particulièrement riche en matières premières : la Silésie, nouvellement conquise et rattachée au Reich. Entre la Vistule et la Soła, les SS créent la zone d’intérêt du KL Auschwitz d’une superficie de plus de 40 km². Cette zone, sous permanente surveillance, devait être la moins peuplée possible afin d’empêcher des Polonais de devenir les témoins potentiels de ce qui se produisait dans région et d’éviter au maximum les contacts entre les civils et les déportés. Initialement conçu comme l’un des camps de concentration du Reich, Auschwitz s’est rapidement imposé comme un gigantesque complexe concentrationnaire doté de nombreux sous-camps à proximité desquels se sont installées plusieurs entreprises allemandes. À partir du printemps 1942, Auschwitz s’impose également comme le plus meurtrier des centres de mise à mort des Juifs d’Europe.
Au sein de ce vaste ensemble, trois espaces se distinguent particulièrement :
Vidé progressivement de ses déportés encore valides entre l’automne et le mois de janvier 1945, et découvert par les Soviétiques le 27 janvier de la même année, le complexe d’Auschwitz disparaît mais les lieux perdurent et évoluent. Les autorités polonaises prennent en charge le site de l’ancien complexe concentrationnaire. Elles cèdent aux populations locales les baraques de Birkenau encore debout et, sous la pression de survivants polonais du camp, décident de faire d’Auschwitz I un musée. La loi du 2 juillet 1947 sur la création du musée du Martyre à Oświęcim, votée par le Parlement polonais, entérine officiellement la décision de conserver ad aeternam le site de l’ancien camp d’Auschwitz-Birkenau et d’y créer un musée (qui porte aujourd’hui le nom de musée d’État d’Auschwitz-Birkenau). Le poids de la mémoire d’Auschwitz dans l’imaginaire collectif, en particulier à l’échelle française en raison du fait qu’il fut le lieu de l’assassinat de l’écrasante majorité des Juifs déportés depuis la France, est très important.
Extrait d’entretien recueilli par Sophie Nagiscarde pour le catalogue de l’exposition.
Le magazine Paris Match vous envoie à l’hiver 1979 sur le site de l’ancien camp d’Auschwitz-Birkenau pour y faire un reportage photographique. De quelle manière aborde-t-on ce type de lieu lorsqu’on est documentariste, cinéaste et photographe ? Vous êtes-vous documenté avant de partir, aviez-vous vu des images faites par d’autres photographes ?
Raymond Depardon :
Non, je ne me suis pas vraiment documenté. En 1979, je venais de passer de l’agence Gamma à l’agence Magnum, ce qui a été un événement pour moi. Je revenais de plusieurs reportages assez difficiles et j’étais encore un peu orphelin de Gilles Caron , qui avait disparu dix ans auparavant au Cambodge, capturé par les Khmers rouges. Avec d’autres photographes, nous étions tous très marqués par le Vietnam.
Comme cela se passe souvent dans les journaux -c’est presque une caricature – on me demande : « Raymond, est-ce que tu pourrais aller faire un reportage à Auschwitz pour Paris Match ? » Donc je réponds oui et je me retrouve là-bas un matin. Ça a été l’un des plus grands chocs de ma vie. Je me suis demandé : « Mais qu’est-ce que c’est ? Un décor de cinéma ? Un film d’épouvante ? »
J’ai alors décidé de tout visiter. Chaque jour, je découvrais l’horreur. J’essayais de visiter peu à peu, car je devais travailler ; sans cela, j’aurais été abasourdi, je me serais assis et je n’aurais rien fait. Je commence par la caserne d’Auschwitz. Le site est en très bon état : une vieille caserne polonaise. On reconnaît le portail, bien sûr. C’était en hiver, sous la neige. J’ai travaillé méticuleusement. J’avoue que j’essayais de garder mon sang-froid. Quand on est photographe, il faut garder son sang-froid.
Avec quel matériel avez-vous travaillé ?
À l’époque, je ne travaillais pas encore à la chambre et il me restait beaucoup de films très lents que j’avais utilisé pour photographier le désert. J’ai pensé qu’ils seraient parfaits et que je travaillerais sur pied.
Comment avez-vous été reçu par le personnel du mémorial ? Vous a-t-on guidé pour visiter le camp ?
Oui, au début, ils m’ont montré les lieux où les gens dormaient, les fours, l’endroit où les trains arrivaient, l’endroit où les Juifs débarquaient.
Ils m’ont également montré des films. J’ai été très marqué par celui des caméramans de l’Armée rouge qui découvrent le camp. C’est un film insensé, incroyable. Pour moi c’est l’un des films les plus émouvants au monde parce que je crois qu’ils ont vraiment été surpris. Je crois qu’ils savaient, mais ils ne s’attendaient pas à ce qu’ils ont vu.
Ils ont filmé avec une caméra KS-4, copie soviétique de la Eyemo Bell & Howell, qui est une caméra formidable. Quand j’ai fait Ian Palach en 1969 , j’ai filmé une minute de silence avec cette caméra Bell & Howell. C’est une caméra portable qui ne vous protège pas tellement de ce que vous filmez. Par la suite, en tournant Faits divers ou en tournant dans les palais de justice, j’étais protégé par la caméra. Heureusement, sinon j’aurais craqué. Pour Claudine, qui enregistrait, c’était plus difficile : elle était à découvert. Les gens la fixaient et l’interpellaient du regard pour trouver de l’aide.
Dans ce film soviétique, ils font une chose que je n’aurais jamais osé faire : des plans fixes des quelques personnes survivantes. On imagine cet hiver 1945. Ils sont libérés, mais ils ne sont pas sortis du camp. Ils doivent être soulagés de voir arriver les Soviétiques, mais ils sont dans un tel état. Les caméramans font des gros plans des gens accrochés aux barbelés, des plans fixes, comme des photos. On voit, par exemple, les sourcils ou la bouche de ces rescapés qui bougent à peine.
J’ai l’impression qu’avant cette fin des années 1970 on avait peu parlé d’Auschwitz et de la Shoah.
Sophie Nagiscarde, responsable du service de activités culturelles,Mémorial de la Shoah, assistée d’Andréa Péchin Marine Montegut, responsable éditoriale non-fiction, éditions Calmann-Lévy & éditions Kero. Claudine Nougaret, Sarah Froux, Studio Raymond Depardon
Coédition : Mémorial de la Shoah, coédition Calmann-Lévy, 128 pages.
Prix : 22 €
Publication : juin 2025.
En vente au Mémorial de la Shoah.
Entrée gratuite, Mémorial de la Shoah
Presse: AGENCE C LA VIE
Ingrid Cadoret: ingrid@c-la-vie.fr
Ninon France : ninon.france@c-la-vie.fr
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